le contentieux prud'homales des discriminations raciales, par Ufarte Thomas

Publié le par AEDSN

La lutte contre les discriminations raciales est une exigence dans notre société fondée sur des valeurs telles que l’égalité et la fraternité. L’article 1er de notre Constitution consacre ainsi l’égalité de tous devant la loi sans considération d’origine, de race ou de religion. L’idéal républicain  voudrait que l’on voit chaque individu comme un citoyen peu important sa couleur de peau, sa religion ou encore sa culture. Cet idéal c’est construit en opposition avec la société d’Ancien Régime divisée en classe et est sensé mettre fin aux privilèges. Au fil de notre histoire le pacte républicain a eu à composer avec l’esclavage et la colonisation qui niaient tous deux l’égalité entre les hommes selon des critères de couleur de peau ou d’origine géographique, le pire exemple en étant le Code Noir. Plus proche de nous, les tragédies qu’ont été les différents génocides du XXe siècle illustrent de manière dramatique les dérives auxquelles peuvent amener l’idée de hiérarchie entre les hommes et de classification scientifique des êtres humains.

Si de nos jours un consensus public et scientifique existe pour reconnaître qu’il n’existe qu’une seule race, la race humaine, le récent débat sur l’identité nationale n’a pas manqué de faire ressurgir sur le devant de la scène des propos racistes tenus des représentants de la nation. C’est la preuve, s’il la fallait, que bien qu’ouvertement nié, le racisme est toujours présent dans notre société. Le Conseil de l’Europe a défini le racisme comme étant la croyance qu’un motif tel que la race, la couleur, la peau, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique justifie le mépris envers une personne ou un groupe de personnes. La lutte contre le racisme nécessite de mettre en œuvre des politiques publiques à la fois d’éducation pour les générations futures, de promotion de la diversité mais aussi de répression. L’un des axes majeurs de la répression est la lutte contre les discriminations raciales : c'est-à-dire la lutte contre les distinctions, contre les décisions motivées par des considérations raciales. A ce stade, le juriste se heurte à une première difficulté : il n’y a pas de définition de la notion de race en Droit. On est face à un vide juridique qui va laisser la part belle aux discussions devant le juge.

Le monde du travail est un terrain particulièrement important dans cette lutte pour au moins 2 raisons :

Le travail est un facteur d’intégration important à la société : il permet à des personnes d’horizons divers de se côtoyer, d’échanger et de participer pleinement à la vie de la cité en offrant une fonction mais aussi un revenu.

Le travail assure un statut aux individus et l’accès ou non des minorités visibles à des postes de pouvoir ou à responsabilité est l’occasion de faire valoir que chacun peut accéder à ces postes et que personne ne démérite du fait de ses origines, de sa couleur de peau : c’est un vecteur de promotion de la diversité.

Malgré cette relative importance théorique, le premier constat qui frappe lorsqu’on étudie les décisions des juges, c’est leur rareté. Sur une période allant de 2006 à 2009 il n’y a eu qu’une vingtaine d’arrêt de cour d’appel qui ont traité de la question. Sur ces 20 décisions seulement 9 ont donné lieu à condamnation pour discrimination raciale. En plus d’être un contentieux rare, c’est donc un contentieux relativement incertain.

Il d’ailleurs intéressant de noter au passage que dans son rapport annuel pour l’année 2008 consacré aux discriminations la Cour de Cassation ne fait qu’évoquer la législation sur les discriminations raciales sans jamais développer plus avant : et pour cause la jurisprudence est quasiment inexistante. Paradoxalement d’après le rapport de la HALDE pour 2009 le premier critère de discrimination reste l'origine (28,5%) suivi du handicap/état de santé (18,5%), des activités syndicales (6%), de l'âge (5,5%), les convictions religieuses n'étant invoquées que dans 3% des cas. Comment expliquer ce désert juridique alors ? Une étude de l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a fait ressortir que la majorité des victimes de discriminations raciales ne signalent pas les « incidents » car selon eux « cela ne changerait rien ». C’est peut être là que réside l’explication principale : le difficile accès à la Justice.

Il importe alors d’étudier le contentieux afin d’en saisir les difficultés pour mieux envisager d’éventuelles évolutions du cadre légal qui pourrait améliorer et faciliter le traitement par la justice de ces discriminations.

 

Le contentieux des discriminations raciales

 

C’est toute la question de la mise en œuvre de l’article L 1134-1 et suivant du Code du travail concernant les discriminations raciales. La démarche est connue : il convient pour la victime d’établir un fait laissant présumer l’existence d’une discrimination. Il appartiendra alors à l’auteur présumé de la discrimination raciale d’avancer des faits objectifs et matériellement vérifiable étrangers à toute discrimination qui justifient la décision litigieuse. Néanmoins il convient de se pencher sur ces deux temps concernant le cas précis des discriminations raciales afin d’en saisir les difficultés.

L’établissement d’une intention raciste :

 

Sur les 20 décisions de Cour d’appel, aucune ne se penche sur l’examen de l’existence de discriminations indirectes. Il existe un malaise évident des juges à statuer sur ces questions. Ce malaise a deux causes : l’absence de définition juridique de la race et l’impossibilité d’utiliser des statistiques ethniques pour quantifier objectivement et caractériser des différences de traitement entre des races/ethnies supposées. Devant ces difficultés, les juges et les parties n’ont d’autres choix que de caractériser l’intention discriminatoire, donc l’intention raciste. Cette présomption d’intention discriminatoire va alors pouvoir se combattre en démontrant que l’auteur de la décision n’est pas raciste.

 

La recherche d’une intention raciste :

L’enjeu du contentieux va être de démontrer l’intention raciste du défendeur. Que ce soit par le processus de la comparaison ou celui des témoignages, il va falloir prouver une discrimination directe. Cette démarche est particulièrement délicate car rares sont maintenant les individus prêts à se déclarer ouvertement racistes, ou ayant des pratiques discriminatoires sur ce fondement. De plus cela ne permet pas de lutter contre les formes larvées de racisme ni contre les discriminations indirectes.

C’est ce qui ressort des arrêts des différentes cours d’appel où le recours aux témoignages et aux pétitions sont des éléments de preuve particulièrement efficaces et mêmes essentiels. Ainsi dans un arrêt de la CA de Versailles du 2 avril 2008 il était question de plusieurs salariés d’une usine Renault qui se plaignaient d’avoir subi des discriminations raciales. Plutôt qu’apprécier de manière globale si Renault avait une gestion des effectifs basée sur des critères raciaux ou ethniques, les juges vont rechercher au cas par cas si chaque salarié pris individuellement arrive à avancer des témoignages qui laissent apparaître qu’ils ont subi des brimades ou des humiliations racistes à titre individuel. Cette décision se comprend car l’action a été portée devant un CPH qui ne juge que des relations individuelles de travail. Néanmoins on peut douter de sa pertinence dans la mesure où cela revient à indemniser certains salariés et pas d’autres alors qu’ils étaient tous dans le même environnement de travail : l’usine. Il est peu probable que seuls certains salariés aient été affectés par les comportements racistes de leurs collègues ou de leurs supérieurs, même s’ils n’étaient pas en contact direct avec ceux-ci.

Le malaise face au flou juridique :

Cette absence de définition va poser problème dans la mesure où si on ne sait pas quoi vérifier, il va être particulièrement hasardeux de qualifier une discrimination raciale. Cela se voit dans un premier temps par la variété des éléments que les juges et les parties vont avancer pour tenter d’établir une discrimination raciale: prise en compte de la nationalité, de la couleur de peau, de l’origine géographique, du nom ou même de la religion. La diversité des éléments avancés n’aide pas à clarifier le débat. Mais il permet aussi d’établir de manière « libre » une telle discrimination en ayant recours à des critères aussi variés.

Cependant ce flou donne lieu à des décisions étranges de la part des juges. Ainsi dans un arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 11 janvier 2008 un salarié se plaint de n’avoir pas eu une évolution de carrière comparable à d’autres cadres de l’entreprise sur une période d’une quinzaine d’année. Il établit bien qu’il a été traité de manière défavorable alors que ses évaluations étaient comparables aux autres salariés. L’entreprise n’avance pas d’explication convaincante pour justifier ce traitement différencié. Mais le salarié étant dans l’impossibilité de prouver que cette différence résulte de ses origines, les juges vont conclure à la mauvaise exécution du contrat de travail et condamner l’employeur au chef de l’article 1134 du code civil, sans s’intéresser au motif de la différence opérée entre les salariés. La seule différence ne suffit pas à établir la discrimination raciale. Dans le même temps rien ne vient éclairer sur les raisons de cette mauvaise exécution du contrat.

Dans une décision de la CA de Versailles du 23 mars 2007 la situation est la même : un cadre d’origine malienne chez Renault a eu une évolution de carrière bien moins favorable que les autres de niveau équivalent. Malgré une différence de salaire significative les juges vont retenir que les origines du plaignant ne suffisent pas à établir la discrimination et vont ordonner une expertise. Il est intéressant de noter que dans l’ordonnance d’expertise la CA ne réclame que l’établissement de courbes d’évolution des salaires, éléments déjà avancés par le salarié mais jugés insuffisants. La CA ne demande pas d’éléments concernant l’origine des différents cadres, leur couleur de peau, leur nationalité etc, mais une demande générale à l’expert de faire les recherches permettant de statuer sur les demandes et la liste des noms de tous les cadres. C’est comme si les juges eux-mêmes ne savaient pas quels éléments peuvent prouver une discrimination raciale.

On le constate qu’il y a un vrai malaise des juges à qualifier des faits de discrimination raciale, l’absence de catégorie juridique oblige la mise en œuvre de bricolages juridiques plus ou moins convaincants qui garantissent très peu l’effectivité de la lutte contre les discriminations raciales. La preuve de l’intention raciste est une charge particulièrement lourde pour la victime car de telles discriminations ne sont souvent qu’orales. Et même si la victime arrive à établir une présomption, le défendeur a toujours l’opportunité de justifier sa décision.

 

Les justifications de la décision:

Après avoir établi le fait laissant présumer l’existence d’une discrimination, le défendeur à la possibilité de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il convient dans un premier temps d’examiner la portée des mots « étrangers à toute discrimination », à savoir que faire si plusieurs éléments discriminatoires et objectifs cohabitent. Dans un second temps nous nous pencherons sur les justifications retenues par les juges en nous penchant sur deux types de contentieux un peu différent : le cas où l’employeur sanctionne un comportement raciste de ses subordonnés et ensuite le cas plus classique du salarié victime de discriminations raciales de la part de son employeur.

La discrimination corrompt tout :

Le défendeur a l’opportunité de justifier de la différence de traitement en avançant des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La rédaction du texte laisse supposer que si deux raisons ont motivé la décision, l’une étant objective, l’autre étant discriminatoire il ne faudrait retenir que la raison discriminatoire pour annuler une telle décision. C’est la solution qui est suivie par les juges du fond dans l’arrêt de la CA de Versailles du 20 mai 2009. En l’espèce la discrimination raciale n’a pas été retenue par les juges. Mais la lettre de licenciement mentionne que le salarié s’est plaint de discriminations raciales, ce qui aurait remis en cause ses relations avec la société. Par conséquent l’employeur fondait en partie son licenciement sur la plainte du salarié de discriminations raciales. Les juges vont se saisir de ce motif pour annuler le licenciement : pour eux c’est  violé l’article 1132-3 du code du travail. Cet article interdit à l’employeur de sanctionner un salarié pour avoir témoigné ou relaté des faits constitutifs d’une discrimination. Les juges étendent donc l’application de cet article aux faits non-constitutifs d’une discrimination. Cette décision sévère est à saluer car elle assure aux salariés une réelle protection et devrait encourager à parler des discriminations sans craindre de sanctions quand bien même elles n’existeraient pas.

Ne retenir que le critère discriminatoire quand il existe plusieurs motifs d’une décision est pertinent, surtout en Droit du Travail. En effet une relation de travail peut durer sur plusieurs années et il n’est pas rare d’avoir des choses à reprocher à un salarié si l’on cherche un peu. La seule façon pour que ces motifs objectifs ne rendent pas inefficace la condamnation pour discrimination est de retenir qu’en quelque sorte la discrimination corrompt tout.

Exigence de cohérence de l’employeur :

On est dans le cas ici où un employeur prétend sanctionner un comportement raciste : il prend une mesure suite à des faits qu’il a constatés ou qu’on lui a rapportés. Dans un arrêt de la CA de Paris du 26 avril 2006 il s’agissait d’un videur mis à pied suite à son refus de laisser entrer 3 hommes noirs. Ces hommes se sont révélés être des policiers effectuant une opération de testing, ils ont déposé une main courante. Le salarié contestait sa mise à pied en invoquant notamment que son refus de les laisser entrer résultait simplement de son application des consignes de son employeur : ne pas laisser entrer des hommes seuls et privilégier la mixité sexuelle.

Dans un autre arrêt de la CA de Versailles du 12 juin 2008, il s’agissait d’une cadre chargée du recrutement. Lors d’une réorganisation elle est licenciée au motif qu’elle aurait des pratiques racistes et sexistes lors du recrutement. La salariée va se défendre en avançant que son licenciement résulte surtout du fait qu’il y avait 3 postes avant la réorganisation et qu’il n’y en a plus que 2 après. Elle souligne aussi qu’elle n’a jamais eu aucune remarque sur ses pratiques. La CA va donner raison à la salariée en insistant sur le fait que la salariée n’a jamais reçu le moindre avertissement ou la moindre remarque sur ses méthodes de recrutement. L’employeur ne peut pas se saisir de ce prétexte pour se séparer à moindre frais de sa salariée alors qu’il ne lui a jamais rien reproché.

Il y a donc une réelle exigence de cohérence de la part des juges : l’employeur peut et même doit sanctionner les comportements racistes de ses subordonnés. Cependant cette sanction ne doit pas résulter d’un certain opportunisme. L’employeur ne peut pas non plus reprocher au salarié d’avoir appliqué ses directives même si celles-ci s’avèrent discriminatoires.

 

Des justifications convaincantes ?

Les juges sont assez sévères envers l’employeur quand il sanctionne un comportement raciste. Qu’en-est-il lorsque c’est le salarié qui se plaint de subir des discriminations raciales ?

On peut déjà soulever l’importance que semblent donner les juges aux témoignages et pétitions signées par les salariés en faveur de leur employeur. De même la présence dans les effectifs de salariés de couleurs, ou ayant des noms qui laissent penser qu’ils appartiennent à une ethnie « visible », suffit souvent à justifier que l’employeur n’a pas pris de décision discriminante comme dans l’arrêt de la CA de Paris du 25 novembre 2008.

Les juges sont indifférents à la répartition « ethnique » dans l’entreprise. Dans un arrêt une salariée qui se plaignait de discrimination à l’embauche faisait valoir qu’il y avait certes des noirs dans l’entreprise mais seulement en tant qu’ouvriers ou employés, elle voulait un poste de technicienne. En l’espèce la salariée avait en effet passé un test pour évaluer son aptitude (malgré le fait qu’elle était en CDD auparavant). Le test purge de tout soupçon la procédure de recrutement quand bien même la plaignante avance que lors de son entrée pour l’entretien, son interlocutrice a eu une réaction éloquente.

Cela soulève la question du contrôle des procédures de recrutement. Il semble aisé de « coller » un candidat selon qu’on veut ou non de lui dans l’entreprise ou au contraire faciliter l’accès à l’emploi en posant des questions/tests faciles.

Enfin il y a parfois des contrôles légers de la part des juges. Ainsi un chauffeur de bus a été licencié suite à une altercation avec un vigile. Il se plaignait en effet du fait de ne se voir affecté que des vieux bus. Il a en effet constaté que les chauffeurs noirs conduisaient toujours des bus « pourris ». L’employeur va avancer le fait que les bus sont affectés en fonction des lignes et non de la race des chauffeurs. Les juges vont se contenter de cette explication sans s’intéresser aux critères d’affectation des chauffeurs sur les lignes.

Le contentieux des discriminations raciales est largement resté un contentieux de la preuve de l’intention raciste. Que ce soit dans l’établissement de faits ou les justifications, l’objet de la preuve revient toujours à déterminer si le défendeur a eu ou non une intention raciste, et de manière plus large s’il est raciste ou pas. Cela se voit notamment dans l’importance dans ce contentieux des attestations, témoignages et pétitions visant à se justifier. Par ailleurs on ne peut espérer d’harmonisation en la matière dans la mesure où la Cour de cassation ne contrôle pas les faits. Il y a le risque de l’arbitraire des juges et de la survivance des préjugés communs à toute la société. C’est pourquoi certains suggèrent le recours aux statistiques ethniques afin de rendre visibles des situations connues de tous mais extrêmement délicates à étayer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des évolutions souhaitables ?

Le débat concernant le recours aux statistiques ethniques est lourd d’une histoire tragique. De telles données renvoient immédiatement aux pages les plus sombres de notre histoire. L’ancêtre d’Interpol, la Commission internationale de police criminelle, basée à Vienne, recueillait ce genre de données. Quand l’Autriche a été annexée par l’Allemagne nazie, ces données ont immédiatement été utilisées par la gestapo dans leurs traques. Cette catégorisation renvoie évidemment de la même manière à l’étoile jaune des juifs en France.

Néanmoins les statistiques ethniques sont maintenant réclamées essentiellement par des associations défendant les populations discriminées, tel le CRAN. Selon eux cela permettrait de factualiser les discriminations raciales ce qui aurait 2 vertus :

Prendre conscience de ces discriminations réputées ancrées dans nos habitudes, notre inconscient collectif.

Faciliter les actions en justice car les victimes auraient alors des outils objectifs à leur disposition.

Mais l’avenir des statistiques ethniques semble largement compromis par la décision du Conseil Constitutionnel du 15 novembre 2007.

Les statistiques ethniques : un outil au service de la lutte contre les discriminations ethno-raciales ?

1/ Des statistiques ethniques pour quoi faire ?

Joan Stavo-Debauge déplore qu’il n’y ait pas en France d’outils permettant de mesurer les noirs en France. Cela débouche sur une incapacité à factualiser les méfaits dont sont victimes certaines catégories de population. Cela empêche de mettre en œuvre les politiques publiques anti-discriminatoires. L’identité noire est absente des sciences sociales. On saisit le phénomène d’immigrés, sans-papiers, de domiens, des étudiants africains, mais pas de groupe « noirs ».

Il milite pour un rassemblement autour du racisme dont font l’objet ces populations lié à leur couleur de peau plus qu’à leur origine. Ces communautés sont liées selon lui par un même tort enduré. Cela s’oppose au mythe de l’égalité du pacte républicain qui empêcherait de prendre en compte les différences internes à la communauté nationale.

Pour factualiser les discriminations raciales il est nécessaire de mettre en place un dispositif de catégories ad hoc. Il s’agit de permettre de prendre en compte et composer avec des différences existantes. Les statistiques permettraient d’établir comme un fait qu’il existe des différences ethniques. Cela permettrait aux personnes d’ajuster leur comportement en prenant conscience des discriminations qu’ils font subir. Mais cela donnerait également aux plaignants les outils nécessaires pour faire reconnaître leur préjudice.

Des objections existent en ce que constituer des catégories ethniques reviendrait à donner un fondement juridique aux discriminations raciales et catégoriserait les personnes. C’est la crainte que cela graverait dans le marbre les catégories ethniques et n’encouragent les personnes à penser la société en fonction de critères ethniques, stigmatisant ainsi ceux qui font l’objet de traitements défavorables.

2/ catégorisation et stigmatisation ?

Le but assigné à la catégorisation justifierait ainsi que l’on recourt à de telles catégories. La fin justifie les moyens, c’est la philosophie de ceux qui soutiennent le recours aux statistiques de la diversité ou ethniques car les catégorisations opérées « … ne devraient pas être considérées comme des signes d’humiliation mais plutôt comme des signes de prérogatives […]. Le simple fait de singulariser un groupe ou un individu est humiliant seulement si l’intention est de tenir des personnes à distance et de les supprimer [comme dans le cas de l’étoile jaune]. Les marques de parking pour les handicapés ne sont pas indésirables dans la mesure où elles se proposent d’atteindre le résultat contraire ».

Il faut aussi relever que l’invisibilité est une humiliation encore plus grande que la catégorisation : conformément au credo républicain ils sont soumis aux devoirs mais sont confrontés à des barrières insurmontables du fait qu’on ne prenne pas en compte leur spécificité. Réaliser une égalité entre tous les citoyens supposerait donc que les noirs et les autres minorités exposées au tort racial comptent et soient comptées, bref qu’elles disposent d’une figuration à leur convenance et reçoivent une attention.

On peut tout de fois émettre des réserves, notamment en ce qu’une technique juridique est toujours réversible. Et la première étape avant même de récolter des données, serait d’avoir une définition juridique de la race et de l’ethnie et un encadrement afin d’éviter toute dérive douteuse voire franchement malveillante.

La prohibition constitutionnelle de recourir aux statistiques ethniques

Dans sa décision du 15 novembre 2007 le Conseil Constitutionnel a été saisie de cette question des statistiques ethniques. La loi, plus connue sous le nom de la loi Hortefeux, était relative à l’immigration. Le Conseil a conclu à l’incompatibilité de telles statistiques avec l’article 1 de notre Constitution assurant l’égalité de tous devant la loi quelque soit son origine, sa race ou sa religion.

La décision du 15 novembre 2007

Le Conseil Constitutionnel va censurer l’article de la loi car il s’agit selon lui d’un cavalier législatif. En effet la disposition litigieuse avait une portée générale qui n’était pas seulement relative à l’immigration. Néanmoins le Conseil se saisit de l’opportunité pour préciser sa position sur la question : « Considérant que, si les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l'article 1er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race ».

Le Conseil interdit expressément la collecte de données objectives relatives à l’ethnie ou à la race. A contrario la décision n’interdit pas la collecte d’informations objectives autres, telles que l’origine géographique, la nationalité. Néanmoins le recueil de ces infos a un intérêt limité pour ceux qu’on nomme parfois les immigrés de 2nde ou 3e génération : ils sont nés en France, ont la nationalité française et pourtant subissent le racisme et des discriminations. Il est donc clair que ces éléments, s’ils peuvent apporter des débuts de réponse, ne répondent pas aux attentes légitimes de ces individus en matière de lutte contre les discriminations.

Une interdiction à nuancer

Selon certains commentateurs l’interdiction de collecte de données ne vaut que pour les données objectives, qu’il faut distinguer des données subjectives. Il s’agit par exemple du ressenti d’appartenance. Est donc conforme à la Constitution une étude qui porterait sur la manière dont les gens se perçoivent : « vous sentez-vous noir ? » « en tant que tel ressentez vous au quotidien un traitement défavorable du fait de votre couleur, vos origines par rapport à d’autres individus ? ».

L’auto-détermination est donc possible, sur le modèle américain. Cette ouverture devrait permettre le développement d’enquêtes qui permettraient de factualiser plus facilement des discriminations. Néanmoins l’intérêt en est limité en ce qu’elles reposent sur la manière dont les gens se perçoivent et surtout sur la manière dont les gens déclarent se percevoir. Quand on sait que la majorité des victimes d’actes discriminatoires déclarent que le signalement de tels actes ne changerait rien, et que 82% d’entre eux ignorent les procédures à suivre (selon enquête de l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) on peut douter de l’intérêt de telles mesures. D’autant que de telles enquêtes devraient être menées par des autorités indépendantes comme la HALDE, ou de manière anonyme : on imagine mal un salarié déclaré ouvertement à son employeur qu’il se sent victime de discriminations. Qui plus est elles ne pourraient avoir lieu que dans un nombre limité d’entreprises : soit qui font l’objet de procédures judiciaires, soit dans de grosses entreprises soucieuses de leur image. Ce serait néanmoins un premier pas vers une lutte facilitée contre les discriminations. Le ressenti partagé pourrait permettre d’établir à tout le moins une présomption.

Il faut aussi signaler qu’en Nouvelle-Calédonie, compte tenu de la particularité de la situation là-bas, le recours aux statistiques ethniques est légal à condition qu’elles soient autorisées par décret en Conseil d’Etat.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article